Rue Cambon, chez Chanel, des roses blanches pour une "légende"
Rue Cambon, chez Chanel, des roses blanches pour une "légende"
Devant le 31 bis, rue Cambon à Paris où Mademoiselle Chanel avait ouvert sa boutique dans les années 1920, les admirateurs souvent très jeunes viennent rendre hommage à son déjà légendaire héritier Karl Lagerfeld, décédé mardi.
"C'était une légende, un mastodonte, il a sauvé Chanel, il a réinventé la marque", s'enflamme Mathieu Cipriani-Rivière, 20 ans, accouru dès l'annonce du décès de "Monsieur Lagerfeld".
Dans son grand manteau noir en peau, la veste ceinturée à la taille, des chaînes chromées sur le plastron, Mathieu, arrivé le premier, revendique son influence. "Il m'a toujours inspiré, comme lui j'aime les colliers, les bijoux, le noir, avec lui la mode perd son coeur", soupire-t-il, en célébrant la "silhouette structurée et toujours décorée" de son modèle.
Ancien étudiant en stylisme, Mathieu n'a pas assez de mots : "Karl Lagerfeld, c'était le pape de la mode, le papa, le patron". Et entrevoit mal la relève: "C'était l'Histoire à lui tout seul", sourit-il.
En visite à Paris, Yakin Benk, une pharmacienne d'Istanbul, a été prévenue par sa fille qui l'a appelée de Turquie. "Je suis tellement, tellement triste", assure cette quinquagénaire, escortée de son époux. "J'ai énormément de chaussures Chanel, de tailleurs, de lunettes... tous vintage. Chanel compte beaucoup pour nous, quand ma fille était petite, elle me disait: plus tard je vais gagner beaucoup d'argent et je t'offrirai des chaussures Chanel. Avec son premier salaire, elle m'a offert ma première paire".
"Il a su rajeunir Chanel sans dénaturer la marque". Emue, Celina Pastors, 26 ans, sert contre elle la rose blanche enveloppée de cellophane qu'elle vient déposer devant la porte de la boutique aux deux C entrelacés.
"Comme lui, je suis venue d'Allemagne à Paris pour apprendre", poursuit la jeune fille originaire de Hambourg. "Photo, mode... il avait un talent fou, il était très cultivé, parlait un français délicat... Comment vont-ils le remplacer"? s'interroge-t-elle au pied de la façade néo-classique dont elle n'a jamais osé franchir les portes.
# une fierté
Ni crêpe noir ni affichette pour annoncer le décès, rien ne dérange le chic discret de la boutique Chanel, dressée entre la Seine et la Place Vendôme et les touristes japonais qui viennent se prendre en photo devant les vitrines n'ont pas encore entendu la nouvelle. A l'intérieur, le personnel a reçu consigne de ne "rien dire" à la presse.
Etudiante à l'Ecole de la Chambre syndicale de la couture parisienne, la jeune Allemande et son amie Marie Lanzoni, 20 ans, sont venues dès l'annonce du décès du maître, à 85 ans: avec sa rose, Celina a glissé une petite carte, en allemand: "Merci au plus grand maître de la mode, Une fierté pour la France et l'Allemagne". Sur la sienne, Marie Lanzoni a relevé d'une écriture ronde et régulière que "Chanel ne sera plus Chanel sans Karl Lagerfeld".
Tom et Jade, 20 ans chacun, ont accouru avec la même idée: étudiants eux aussi dans une école de mode, ils en ont déjà les codes, le regard caché par des lunettes noires. Ils sont juste passés chez le fleuriste pour attraper une rose blanche chacun.
"Pour nous il fait presque partie de la famille", justifie Tom André. "Il était tellement inspirant pour la jeune génération, surtout ses défilés".
Son amie, Jade Mari, en couettes blondes et blouson crème, assure avoir senti le pire arriver: "Déjà les derniers défilés, avec le thème égyptien et les momies, puis celui avec les feuilles mortes, on a senti qu'il annonçait quelque chose... Et quand il était absent au dernier défilé en janvier, on a pensé, là il ne reste plus beaucoup de temps".