À Orléans, des clowns pour aider les enfants maltraités
Guitare et œufs maracas à la main, Tappo et Zaza entrent sur la pointe de leurs chaussures de clowns dans le hall d'attente de l’Unité d'accueil pédiatrique des enfants en danger (UAPED) d’Orléans.
En nez rouge et costumes bariolés, les comédiens du Rire médecin, de leurs vrais noms Mattia Furlan et Sophie Jude, amorcent leur prise de contact avec Emma (prénom modifié), 6 ans, avant le début de sa prise en charge au sein du service.
“Si elle applaudit, ça veut dire qu’on a nos chances pour une carrière à Las Vegas, par contre si elle boude devant notre show, c'est sûr qu’on finira à Vierzon”, plaisante Mattia.
Quelques minutes plus tôt, le binôme avait réalisé une transmission avec la secrétaire médicale de l'unité afin de savoir la raison de la venue de cette enfant.
L'explication est brève et concise: "Agression sexuelle commise par son grand-père, elle est accompagnée par ses parents".
A partir de cette seule indication, les deux clowns doivent désormais adapter leur façon d'appréhender le jeu avec la fillette avant qu'elle n'entre dans la salle d'audition où un gendarme sera chargé de recueillir son témoignage.
Fondé en 2013, le service du centre hospitalier d'Orléans prend en charge de façon pluridisciplinaire les enfants et adolescents victimes de maltraitances intra et extra-familiales: ici, psychologues, médecins, infirmières, gendarmes et assistantes sociales travaillent au quotidien main dans la main.
"Notre objectif est de réaliser un maximum de démarches sur un même temps et un même lieu pour que l'enfant ait à répéter son histoire le moins de fois possible, parce que ce sont souvent des récits assez traumatisants", expliquait Barbara Tisseron, médecin légiste et pédiatre responsable de l'UAPED, lors d'un entretien avec l'AFP, réalisé en juin.
Depuis désormais dix ans, l'équipe médico-légale travaille en étroite collaboration avec les 13 clowns du Rire médecin de la région, sur une initiative de la responsable.
"Les clowns et moi, c'est une histoire d'amour de plus de 25 ans", glisse-t-elle avec un sourire ému. Elle se souvient de sa première coopération avec l'association créée en 1991, lorsqu'elle était alors cheffe de clinique à Bondy en Seine-Saint-Denis.
Faire intervenir les comédiens avant et après la prise en charge des enfants et adolescents au sein de l'UAPED d'Orléans est apparu comme une évidence aux yeux de la pédiatre.
"Avant d'être des enfants victimes, ce sont des enfants qui ont le droit à un temps de pause dans leur souffrance, un temps d'espérance et un temps de bien-traitance", soutient-elle.
-Évaluer l'état émotionnel-
Robe fuschia avec des imprimés de fraises et de pois sur le dos, Sophie Jude, qui a intégré le Rire médecin il y a plus de vingt ans, ajoute la touche finale de son costume en plaçant une casquette rose sur sa tête.
Contrairement à leurs interventions dans les services pédiatriques, où l'objectif est de provoquer le rire ou l'émerveillement des enfants hospitalisés, le rôle des clowns à l'UAPED est "d'essayer de détendre l'enfant avant son audition mais aussi d'évaluer son état émotionnel et celui de ses accompagnants", détaille Sophie.
"Vu le travail mené par l'UAPED, on a dû laisser de côté les classiques du duo de clowns qui se chamaille et fait semblant de se battre, au profit d'une bulle de douceur et de complicité", confirme Mattia Furlan.
Après cette première prise de contact, le binôme fait un résumé de son échange avec l'enfant auprès de l'équipe soignante, pour qui ces retours sont de précieux indices sur la façon d'appréhender la victime.
"Leur présence permet de faire redescendre la pression et de créer du lien entre chaque personne investie dans le processus d'accueil des enfants", souligne Marie-Laure Toulmé, infirmière dans l'unité, avant de rappeler que souvent, les plus petits "vont retenir le moment avec les clowns plutôt que le moment un peu difficile de l'audition ou de l'examen".
A l'UAPED, forte de plus d'une vingtaine de membres en comptant les clowns, "chacun est un maillon de la chaîne que représente cette petite famille", qui permet à l'enfant, en quittant le service, de toucher du doigt "le début de la résilience".