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De Kiev à Vienne, un an d'exil pour la famille Titkov

16/02/2023 18:57 © Afp

Bientôt un an que la famille Titkov a quitté la ville d'Irpin, en banlieue de Kiev, pour vivre à Vienne, loin de la guerre. Derrière l'intégration pas à pas, le coeur est toujours en Ukraine.

"Love home" affiché au mur, des mets à profusion, une ambiance douillette en Autriche: ces réfugiés ont conscience de leur privilège, au moment où leur pays subit bombardements, combats et coupures de courant.

"Ici nous avons de quoi manger au chaud dans un appartement, la famille est réunie loin du stress" de voir son logement anéanti en une seconde par un missile, témoigne la mère de 39 ans, Irina Titkova.

"Mettre à l'abri ses enfants"

L'AFP suit depuis plusieurs mois cette ancienne professeure d'anglais dans sa nouvelle vie, aux côtés de ses trois garçons de 10, 11 et 16 ans et de son époux Valerii, 44 ans, qui a pu quitter le territoire en tant que père de famille nombreuse.

Comme des millions de leurs compatriotes, ils ont tout abandonné le lendemain même de l'invasion russe du 24 février pour l'Autriche, où ils avaient des contacts.

Enfant, le père a connu l'horreur des combats dans le Nagorny-Karabakh entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie, un autre conflit post-soviétique. "Incapable de tuer un insecte", il n'avait qu'une idée en tête: mettre à l'abri ses enfants.

Les Titkov ont rapidement été hébergés par l'intermédiaire de connaissances à deux pas de la cathédrale Saint-Etienne avant de trouver leur "chez soi" dans un quartier résidentiel à une demi-heure du centre.

Ils sont quelque 90.000 dans le pays alpin de 9 millions d'habitants à avoir reçu une "carte bleue", réservée aux réfugiés ukrainiens qui bénéficient au sein de l'Union européenne (UE) d'une protection temporaire spéciale.

Ce statut leur donne droit de rester en Autriche jusqu'à mars 2024 sans déposer de demande d'asile tout en percevant des aides.

Casse-tête de la langue

Une famille peut ainsi toucher plus d'un millier d'euros par mois pour couvrir les dépenses de nourriture et de loyer, explique Thomas Fussenegger, porte-parole de l'agence chargée du soutien aux réfugiés (BBU).

Des cours de langue sont également dispensés gratuitement. Irina et Valerii se rendent ainsi dans l'établissement Deutschothek depuis septembre, à raison de trois cours par semaine.

Dans les classes, ils échangent dans un allemand rudimentaire avec leurs enseignants sur "la propagande" russe ou les dernières nouvelles du front.

Pour le père russophone, "c'est la partie la plus difficile" de l'intégration. "Je suis fatigué après le boulot et j'ai du mal à me concentrer, à faire entrer toutes ces informations dans ma tête", dit-il.

Masseur-physiothérapeute de profession, cet homme à la large carrure a été recruté comme manutentionnaire dans une chaîne de restauration américaine. Il se lève à l'aube.

Ce n'est "pas le job de ses rêves" mais il espère obtenir dans les mois à venir un agrément pour exercer son métier. Il n'a pas renoncé non plus à redevenir entraîneur de football, une passion abandonnée avec l'exode.

"L'autre réalité"

Dans l'urgence, Irina avait elle accepté un emploi de caissière. Epuisée par la cadence, elle vient de jeter l'éponge, préférant travailler dans une herboristerie. "C'est un lieu paisible, un bon karma", sourit-elle.

"J'ai choisi cette autre réalité, j'ai poussé ma famille à penser à l'avenir" en trouvant refuge dans un pays sûr, ajoute la longiligne Ukrainienne, qui essaie de profiter des musées et des plaisirs viennois. Comme ce premier bal qu'elle s'est accordé samedi avec son mari, à l'invitation de leurs nouveaux amis.

Toutefois, malgré ses efforts, tout constamment la ramène à l'Ukraine.

"Je veux me persuader" que tout va bien, que "nous nous adaptons", mais en réalité "chaque jour, j'ai envie de rentrer chez moi (...), chaque jour c'est comme si mon âme était restée là-bas".

"Mon quotidien commence en vérifiant l'actualité sur le réseau Telegram: ce qui se passe à Kiev, à Irpin, dans les autres villes, et bien sûr je prends des nouvelles de mes proches", raconte-t-elle, en montrant des photos de son frère en tenue militaire.

Ses enfants ont également le mal du pays et fréquentent surtout d'autres Ukrainiens. Après avoir été victime de brimades, Denys, 11 ans, a changé de classe et se sent mieux, heureux d'avoir "plus d'amis".

Double cursus

Outre l'école autrichienne, ils suivent le programme ukrainien, un double cursus lourd à gérer pour les 500.000 enfants ukrainiens scolarisés dans l'UE.

"L'immense majorité d'entre eux veulent revenir après la victoire" et doivent donc rester au niveau, explique depuis l'Ukraine à l'AFP Serguiï Gorbatchov, médiateur de l'éducation nationale.

"Nous étions préparés à faire l'école à la maison à cause de la pandémie" mais reste à mettre en place "un système" mieux rodé en vue d'alléger "le fardeau" pour les familles.

Ivanna Kobernyk, co-fondatrice de l'ONG Smart education, note une situation exceptionnelle. "C'est probablement la première fois que l'Europe accueille des réfugiés dont la plupart rêvent de rentrer au pays et continuent d'étudier en ligne. C'est la préservation d'une certaine normalité, d'un lien avec la patrie".

Pour Irina, ce lien indéfectible se double d'une culpabilité lancinante.

"Nous ne savons pas comment aider à part en envoyant de l'argent", confie-t-elle. Elle transfère occasionnellement des centaines d'euros à ses proches, s'est rendue sur place pour épauler son oncle malade, essaie aussi de convaincre certains de les rejoindre à Vienne.

Son voeu pour 2023: "que ce soit la dernière année de guerre, pour toujours".

Et ensuite? "L'Ukraine sera en ruines", méconnaissable, "et on devra repartir de zéro", s'inquiète Valerii.

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