A Mexico, Omar à mains nues contre la pollution des canaux pré-hispaniques de Xochimilco
A Mexico, Omar à mains nues contre la pollution des canaux pré-hispaniques de Xochimilco
Dans le silence, l'air froid et les clairs-obscurs de l'aube, Omar rame sur les canaux de Xochimilco, dernière trace du Mexico pré-hispanique que le retraité tente de protéger à mains nues contre la pollution des loisirs de masse.
Au passage de son kayak monoplace, des hérons et des pélicans s'envolent dans la brume matinale. Au sud, le volcan Popocatepetl culmine à plus de 5.000 mètres entre Mexico et Puebla.
Omar Menchaca, 66 ans, semble ramer très loin du réseau d'autouroutes qui dessert et enserre Mexico et ses neuf millions d'habitants.
"Le périphérique n'est qu'à 600 mètres", sourit le retraité d'allure sportive, qui a garé sa voiture au parking de l'embarcadère, après avoir quitté bien avant le lever du jour sa maison de Coyoacan, un quartier de Mexico.
Régulièrement, Omar pose ses rames pour ramasser à mains nues des détritus, résidus, bouteilles, paquets d'emballage, qui flottent au milieu des fleurs aquatiques.
"Je venais ici pour m'entraîner pour mes compétitions", raconte l'ancien champion d'athlétisme. "Avec le temps, malheureusement, j'ai commencé à remarquer que ces canaux se couvraient de poubelles".
Son canoë poursuit son chemin entre les berges des "chinampas", des jardins maraîchers flottants qui existent depuis des siècles.
Xochimilco, ses canaux et ses "chinampas" représentent la dernière survivance du Mexico-Tenochtitlan pré-hispanique, qui fascina les Espagnols avec son réseau d'îles et d'îlots sur le lac Texcoco.
Omar en connaît l'histoire par coeur. Il la partage avec des touristes lors des tours qu'il organise à plusieurs canoës. Il adore voir les enfants l'imiter dans la collecte des déchets.
Xochimilco est aussi célèbre pour ses "trajineras", immenses gondoles festives. A leur bord, chaque fin de semaine, des couples, des familles, des groupes d'amis naviguent, boivent et mangent au son des incontournables orchestres mariachi.
"Xochimilco est visité par approximativement 6.000 personnes les fins de semaine. Malheureusement, ces personnes ne prennent pas soin de l'endroit", déplore Omar.
# "Si nous ne faisons rien..."
Il observe également que des chinampas ont été recouvertes par des terrains de football, augmentant la pression des loisirs de masse.
Le retraité s'agace quand il croise des embarcations équipées d'un petit moteur. "Les canaux ne sont pas très profonds, à peine 50 centimètres de profondeur. Une embarcation avec un moteur qui transporte jusqu'à 40 personnes provoque du bruit. Elle pollue les zones humides avec de l'huile et de l'essence".
A la mi-journée, Omar revient vers l'embarcadère à travers un vaste canal avec vue imprenable sur l'Ajusco, un sommet à 3.900 m dans les limites de la capitale fédérale.
Son canoë déborde de résidus et de détritus. Au passage, Omar salue un homme qui arrache des pelles de boue aux eaux du canal, un fertilisant naturel, explique-t-il.
"Les gens de l'embarcadère devraient ramasser les ordures, et non pas Don Omar", affirme l'homme, un habitué de Xochimilco du nom de Noe Coquis Salcedo.
Sur la terre ferme, Omar jette les ordures dans une décharge, à côté du parking de l'embarcadère.
Omar estime qu'il apporte juste "son grain de sable" pour la sauvegarde d'un environnement classé au patrimoine de l'Unesco. Les autorités locales affirment s'occuper également des canaux de Xochimilco et des "chinampas". "La maintenance est constante", affirme la mairie, en parlant des 160 kilomètres de canaux à entretenir.
"Les canaux sont des sentiers", philosophe Omar, assis à la table d'un restaurant au bord de l'embarcadère, le temps d'une "enchilada" (galette de maïs remplie de poulet et couverte de sauce) et d'une "clara" (bière blonde) après des heures d'exercice physique. "C'est pourquoi quand je vois ces ordures, je tente de les récupérer pour que celui qui passe après puisse profiter d'un sentier propre".
Sous le soleil du mois de janvier, des jeunes plongent dans le canal. "Si nous ne faisons rien pour notre planète, va venir un moment où...".
Omar reste un moment silencieux, les mains écartées. "Où il va nous rester peu de choses dont nous pourrons profiter".